samedi 2 octobre 2010

"Je suis inquiète pour Véronique Courjault"

Le JDD a fait réagir des psys au livre de Jean-Louis Courjault, le père des "bébés congelés". La psychanalyste Sophie Marinopoulos est perplexe.




Je ne pouvais pas l’abandonner." Un an après la condamnation de sa femme à huit ans de prison pour trois infanticides et quatre mois après sa mise en liberté conditionnelle, Jean-Louis Courjault publie un livre (*) sur "l’affaire des bébés congelés". "J’ai peur de ce qui est en train de se jouer", confie la psychanalyste Sophie Marinopoulos, éminente spécialiste du déni de grossesse, citée par la défense lors du procès de Véronique Courjault. "Je m’interroge sur ce besoin narcissique de reconnaissance au détriment de Madame qui ne peut pas parler aujourd’hui [Véronique Courjault étant sous le coup d’une interdiction judiciaire de s’exprimer sur l’affaire]. Il se montre beaucoup, parle beaucoup; elle reste dans l’ombre et le silence. Je suis très inquiète pour elle", confie cette experte.


Selon la psychanalyste Sophie Cadalen, spécialiste du couple, le titre du livre révèle déjà combien Jean-Louis Courjault a "besoin d’exister comme superhomme et combien il est fragile". C’est bien ce qui dérange à la lecture : l’auteur se pose en "homme formidable", constate la psychanalyste. "La revendication est très forte, note-t-elle. C’est vraiment une réhabilitation du “moi”. Il veut être entendu, reconnu, compris, aimé." De fait, Jean-Louis Courjault se présente sous un jour favorable: un homme sympa, passionné de moto, apprécié dans son travail et pétri d’amis, qui s’occupe bien de sa femme.


"Se raconter est toujours un exercice un peu suspect qui révèle des failles inavouées, relève Sophie Cadalen. Evidemment, Jean-Louis Courjault en a pris plein la gueule, son image et son ego en ont pris un coup. Mais, selon moi, il en fait trop." Il livre notamment de nombreux détails sur son couple, commente ainsi longuement une déclaration de Véronique Courjault en garde à vue dans laquelle celle-ci déplorait son manque de plaisir en faisant l’amour. "Avait-elle joué la comédie pendant près de vingt ans? Lorsque j’ai abordé le sujet au parloir, elle m’a expliqué s’être mal exprimée: elle voulait parler en réalité de ses propres difficultés à atteindre l’orgasme… Ce n’est pas tout à fait pareil", écrit Jean-Louis Courjault, qui pourtant déplore aussi le "déballage intime" lors du procès.


"En matière de remise en question tout reste à faire"
Lui qui se plaint aussi d’être reconnu dans la rue – "J’ai surmonté ce désagrément mais il m’agace toujours" – tout en posant en couverture de son livre, n’est pas à un paradoxe près. Sophie Cadalen devine "une soif d’existence". "Dans ce drame, il n’est nulle part. Cela s’est passé à côté de lui et il n’a rien vu. Il n’a pas existé en tant que père ni en tant que compagnon d’une souffrance. Il a été anéanti. Ce bouquin est le pendant de cet anéantissement. Il a besoin d’avoir une place dans une histoire qui le dépasse complètement."


Ce livre, Jean-Louis Courjault dit l’avoir écrit pour quatre raisons: "éclairer les gens", "dépeindre la détresse", "apporter un peu de réconfort aux victimes", "pour dire comment j’ai fait, plutôt que de m’écrouler". Au risque d’écraser un peu plus encore sa femme, se demandent les psys. L’auteur se souvient de s’être interrogé sur "ce qui n’allait pas chez elle" sans pour autant se dire "je vais me tirer parce qu’elle ne tourne pas rond". Il aurait donc fait "le choix de comprendre"; c’est d’ailleurs le sous-titre du livre. Comprendre quoi? "En matière de remise en question tout reste à faire", analyse Sophie Cadalen. "Le danger est qu’il s’installe dans la position du héros qui sauve par son amour, reprend Cadalen. Pourtant, c’est une histoire à deux. Comme dans les questions d’adultère, il est plus intéressant de savoir comment on en est arrivé là ensemble que de considérer que l’un a déconné, et que l’autre, dans sa grande mansuétude, lui pardonne."


C’est la véritable question du livre, à l’insu de son auteur : quel est le rôle du père dans le déni de grossesse? Pour le professeur Israël Nisand, gynécologue obstétricien, "c’est simple d’incriminer systématiquement les femmes, mais ce ne sont pas toujours les bonnes personnes qui se retrouvent dans le box des accusés". De son point de vue, l’homme a toujours "une vraie responsabilité" dans le déni de sa compagne. "Dans les situations gravissimes de déni complet, lorsque nous interrogeons les femmes sur leur compagnon, nous en avons à chaque fois la confirmation, précise Nisand; avec, souvent, une sexualité catastrophique à la clé, une maltraitance morale, voire physique." Si la responsabilité pénale est individuelle, la psychanalyse interroge les couples néonaticides. "D’un point de vue psychique, il y a bien entendu une dynamique de couple, conclut Sophie Marinopoulos: on fabrique ensemble du bonheur et du drame."


(*) Je ne pouvais pas l’abandonner , le choix de comprendre, Michel Lafon.

http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Je-suis-inquiete-pour-Veronique-Courjault-222824

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