lundi 17 mars 2014

Le Président, les écoutes et les visiteurs du soir

François Hollande a-t-il joué un rôle dans les fuites de l’affaire Sarkozy? Depuis le 7 mars et la divulgation par Le Monde de l’affaire des écoutes, plusieurs proches de l’ancien président accusent clairement son successeur "d’être à la manoeuvre". "Ils veulent m’abattre, ils sont prêts à tout, jusqu’à écouter le chef de l’opposition pendant des mois et des mois. Dans n’importe quel autre pays, aux États-Unis, Hollande serait contraint à la démission", cogne cette semaine un Sarkozy excédé devant tous ses visiteurs.
Officiellement, François Hollande n’est pour rien dans la divulgation de l’affaire. L’Élysée assure depuis une semaine que le Président n’a été "mis au courant des grandes lignes que le 4 mars, le jour des perquisitions chez Thierry Herzog. Et a appris seulement, à la lecture du Monde, le détail des écoutes." Officiellement encore, dans des courriers adressés au bâtonnier de Paris et au président de l’USM, qu’il recevra cette semaine, Hollande rappelle qu’il est "le garant, en vertu de l’article 64 de la Constitution, de l’indépendance de la justice". Et qu’il ne lui "appartient donc pas, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs", de s’"immiscer d’une quelconque manière dans une affaire judiciaire en cours". Officiellement toujours, le chef de l’État n’a absolument pas géré le dossier, laissant son Premier ministre et la garde des Sceaux en première ligne. Samedi d’ailleurs, Hollande, depuis l’Élysée, s’est posé "en garant d’une justice incontestable", promettant aussi "que la justice passera". De solides affirmations d’indépendance.

Pourquoi cette réunion ce vendredi soir?

Pourtant, selon l’emploi du temps dressé par le secrétariat particulier du président de la République, un agenda confidentiel dont le JDD a eu connaissance pour la journée du 7 mars, Hollande, à 19 heures ce jour-là, reçoit en audience privée les deux journalistes du Monde auteurs de l’article mettant en cause Sarkozy et son avocat. Un entretien surprenant, au terme d’une longue journée, ponctuée de onze autres rendez-vous.
Ce jour-là, Hollande se met au travail à 8 heures par un "point communication" dans son bureau avec ses conseillers Aquilino Morelle et Christian Gravel. Il enchaîne par un rendez-vous avec Jean-Christophe Cambadélis, numéro 2 du PS, et un déjeuner avec Lionel Jospin, dans le Salon des portraits, avant de s’entretenir avec une délégation ukrainienne, dont l’ancien boxeur Vitali Klitschko. En fin d’après-midi, le Président passe une demi-heure avec ses ministres, Najat Vallaud-Belkacem puis une heure avec Marylise Lebranchu, avant un entretien téléphonique avec le Premier ministre canadien, Stephen Harper
Mais c’est le dernier rendez-vous du jour, à 19 heures, avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme qui intrigue. Pourquoi cette réunion, justement ce vendredi soir, alors que télé et radio évoquent en boucle "la nouvelle affaire Sarkozy"? Interrogé samedi par le JDD, le Président confirme l’existence de cette rencontre (voir ci-contre). Une version conforme à celle des deux reporters du Monde, qui admettent aussi "avoir vu François Hollande le 7 mars au soir dans le cadre de la préparation d’un livre sur le quinquennat".
Ces explications suffiront-elles à calmer les doutes du camp Sarkozy sur l’implication de François Hollande dans la divulgation de l’affaire par Le Monde? "Le 7, lors de notre rendez-vous l’information était déjà sortie, et il nous fallait au moins deux jours pour préparer cet article", se défend l’un des auteurs.

La décision de placer Sarkozy sur écoute revient aux juges

Deux jours, c’est exactement la période qui sépare l’article du Monde de la découverte, le 4 mars, par François Hollande, des dessous des perquisitions alors en cours chez Thierry Herzog. Le Président a-t-il informé les journalistes du Monde? Rien ne permet de l’affirmer, même si les deux reporters reconnaissent "des rencontres régulières" avec le chef de l’État depuis mai 2012. Une chose est sûre, s’il ne veut pas "s’immiscer dans les affaires de son rival", le Président semble donc fréquenter volontiers ceux qui enquêtent sur lui. Autre indice troublant, devant des jeunes députés socialistes, Hollande s’était vanté il y a trois semaines de "surveiller" et "s’occuper" de Sarkozy…"De toute façon, qui d’autre que Hollande peut tirer les ficelles", s’emporte l’ex-Président.
Concrètement, pas grand monde était au courant des écoutes Sarkozy déclenchées le 4 septembre 2013… Au départ, la décision de placer l’ancien chef de l’État sur écoute revient aux deux juges de l’affaire sur le financement supposé de la campagne de 2007 via la Libye, Serge Tournaire et René Grouman. Début septembre, seuls les deux magistrats sont au courant. La hiérarchie judiciaire et la Place Vendôme ne seront informées que fin février. Les policiers, en revanche, sont nombreux dans la confidence depuis six mois. Début septembre, à Nanterre, à la DNIFF (Division nationale d’investigations financières et fiscales, devenue Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale), la mission de gérer les écoutes revient à un officier de police judiciaire (OPJ). Une réquisition est faite à l’opérateur de téléphone et à une société informatique de traiter les enregistrements Sarkozy. En temps réel, l’OPJ reçoit sur son ordinateur le fichier son de chaque conversation. "Une retranscription texte est faite par ordinateur", décode un policier, et la géolocalisation permet de savoir où se trouve le téléphone.

"Si quelqu’un l’a fait dans mon dos, je ne peux pas le savoir"

Au sein de la DNIFF, l’OPJ a un chef de groupe, puis un chef de section, qui lui-même rend compte au sous-directeur du service puis à la directrice de la DNIFF, Christine Dufau. À Nanterre, Christine Dufau rend compte en direct à Bernard Petit, alors sous-directeur en charge de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière. "C’est normal, cela se passe toujours comme ça, confie l’intéressé au JDD. Je ne faisais rien dans ce genre de dossier sans informer mon adjoint", ajoute Bernard Petit, jurant, en revanche, n’avoir "jamais demandé" le contenu de la moindre écoute.
Au-dessus de Bernard Petit, Christian Lothion, Place Beauvau, est alors directeur central de la police judiciaire. "La PJ est une maison hiérarchisée, j’ai effectivement été informé assez vite de ces écoutes, comme c’est l’usage, confirme Lothion au JDD. Mais j’ai pris sur moi de ne pas divulguer leur existence. Ni au ministre ni au DGPN. Et si quelqu’un l’a fait dans mon dos, je ne peux pas le savoir", assure Lothion.
Au sein de la maison police, plusieurs sources soupçonnent Manuel Valls d’avoir eu "connaissance" des enregistrements par un canal discret. Ce qu’il nie. "Le ministre n’était pas au courant. C’est comme cela, il faut admettre que les pratiques du passé sont terminées, et que Pasqua fait partie de la période jurassique", s’époumone un conseiller du ministre de l’Intérieur. Après avoir assuré qu’il avait, lui aussi, "tout découvert à la lecture du Monde", Valls admet aujourd’hui avoir été prévenu le jour des perquisitions chez Me Herzog. Soit, lui aussi, deux jours avant l’article du Monde
 

Aucun commentaire: