dimanche 9 mars 2014

Les sons de l'étrange M. Buisson

Jusqu'où ira l'affaire Buisson? Les enregistrements clandestins opérés depuis au moins 2007 par l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy sortiront-ils au compte-gouttes? Rien ne l'indique encore et les annonces de plaintes, tant de Nicolas Sarkozy, de Carla Bruni que de Buisson lui-même, pour vol, s'adressent en premier lieu aux détenteurs des fichiers… Lundi à 14 heures, l'ancien président et son épouse, via leurs avocats Mes Herzog et Malka, vont demander en référé la suppression des enregistrements sur le site d'Atlantico, en raison de l'atteinte à la vie privé.
En attendant, à ce jour, aucun autre enregistrement n'a fait surface et la justice n'en dispose d'aucun. En revanche, selon nos informations, les juges Serge Tournaire et Roger Le Loire, en charge de l'enquête sur les sondages de l'Élysée (suite à la plainte de Me Jérôme Karsenti de l'association Anticor), connaissent l'existence de ces enregistrements au moins depuis le mois de janvier. Un informateur les a prévenus de la manie secrète de l'ancien conseiller de systématiquement vivre avec un magnéto caché dans la poche. L'existence de ces enregistrements leur a ensuite été confirmée par Georges Buisson, le fils de l'ex-conseiller. En bisbille avec son père, ce dernier, gérant de paille d'une société de sondages, a reconnu devant les policiers que son père "enregistrait" bel et bien "depuis des années". "Patrick Buisson s'est constitué des assurances-vie en montant des dossiers sur les gens pour lesquels il travaille, y compris Nicolas Sarkozy", soutenait -il au JDD, voilà déjà huit mois.

Qui a fait main basse sur la "boîte noire"?

Autre audition judiciaire, celle de Pauline de Préval, l'ancienne assistante de Patrick Buisson, longtemps très proche de l'ancien patron de Minute et aujourd'hui brouillée avec lui. Devant les policiers, qui auraient aussi perquisitionné chez elle, elle a admis que l'intéressé "enregistrait" et qu'elle avait déjà constaté la présence d'enregistrements dans les ordinateurs de Buisson. En revanche, selon nos sources, Pauline de Préval, aujourd'hui en Espagne, aurait assuré devant les enquêteurs qu'elle ne possédait aucune copie des fichiers.
Qui, depuis, a fait main basse sur la "boîte noire" des années Sarkozy et les éventuelles dizaines d'heures d'enregistrement de réunions au cœur de l'Élysée? La question reste encore sans réponse et à ce jour, un seul enregistrement, diffusé mardi et mercredi par Le Canard enchaîné et le site Atlantico, concernant les journées des 26 et 27 février 2011 a été rendu public. La totalité des personnes enregistrées à leur insu par Buisson en ont été choquées. "Je ne souhaite faire aucune commentaire", réagit, meurtri, Étienne Mougeotte, l'ancien patron du Figaro. "Humainement, c'est très décevant, soupire Brice Hortefeux, même si politiquement, cela restera sans importance." "Tout cela a provoqué une onde de choc et de réprobation que je trouve exagérée", plaide Me William Goldnadel, l'avocat de Patrick Buisson, persuadé que son client "enregistrait comme on prend des notes, pour un jour écrire des mémoires, à la façon d'un Attali, et que personne n'aurait jamais dû savoir".
Sauf que… L'argument, s'il s'entend judiciairement parlant, n'aura guère d'impact sur ceux qui se sentent trahis à jamais. En premier lieu, Nicolas Sarkozy en personne : le 11 février quand un article du Point a fait état, le premier, de l'existence d'enregistrements clandestins réalisés par son conseiller, l'ex de l'Élysée ne veut d'abord pas y croire. En déplacement à Singapour, il reçoit un appel téléphonique. Au bout du fil, Buisson "jure" que "tout est faux". "Patrick, si c'est vrai je ne te parlerai plus", répond Sarkozy. De retour à Paris, il confie à ses proches : "Patrick a juré que c'était faux mais il ne m'a pas convaincu." Le doute s'installe avant de devenir certitude.

"Cet homme de certitudes rassurait Sarko"

La confiance de Sarkozy en Buisson remonte pourtant loin : "J'étais à la remise de sa Légion d'honneur en 2007 à l'Élysée. Sarkozy avait abandonné son discours officiel pour dire qu'il venait d'être élu président grâce à Patrick Buisson. Il situait carrément le tournant au jour des émeutes dans le sous-sol de la gare du Nord. Tout le monde lui avait dit de ne pas y aller, en tant que ministre de l'Intérieur alors que Buisson, lui, lui avait conseillé d'y foncer, que l'élection se jouait là", se souvient un participant. "Quand j'ai revu Buisson en 2006 dans le sillage de Sarkozy, j'ai été surpris de l'importance qu'il occupait, raconte Jean-Pierre Raffarin. Nicolas Sarkozy multipliait les compliments à son endroit."
L'ancien Premier ministre, qui fut l'un des rares à s'opposer à la ligne idéologique imposée par Buisson, notamment pendant la campagne présidentielle de 2012, décrypte la relation qu'il avait nouée avec Sarkozy : "Cet homme de certitudes rassurait Sarko. Il donne un ton menaçant dans ce qu'il fait. Quand il communique, il boxe." Comme si le conseiller, durant les années Sarkozy, s'était installé en une sorte de rôle de "mi-gourou" "mi-voyant", se rendant indispensable.

Une vision "poutinienne" du monde

"Buisson a inventé dès 2002 le sondage comme une arme, explique un autre de ses anciens clients. Il vous proposait un premier sondage avec 20 items et ensuite, il faisait refaire un deuxième sondage avec les quatre meilleurs items et, de fil en aiguille, c'était censé gonfler votre image." Auprès de François Bayrou et d'Alain Madelin, avant de se brouiller avec eux, Buisson opère ce que les deux hommes considèrent aujourd'hui comme étant des "manipulations d'opinion" via des instituts de sondages.
"Buisson fait partie de ces gens nostalgiques d'une vision poutinienne du monde, celle du chef fort, et cette ligne, que j'appelle la ligne BCG, Buisson-Copé-Guaino, a en commun l'idée que la fin justifie tous les moyens", confie au JDD Alain Madelin. "Pour moi, Buisson est la figure même du clan Sarkozy. C'est le contraire de ce à quoi je crois en politique. Cela m'a tellement heurté que j'ai risqué ma propre vie politique en dénonçant ces méthodes-là", confie, pour sa part, François Bayrou. C'est dire si Buisson ne compte plus aujourd'hui… que des ennemis.
 

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