dimanche 23 janvier 2011

Tunisie: Du tirage dans la transition

Le RCD, ou comment s’en débarrasser... L’omnipotent parti du régime "bénaliste", qui a infusé toute la société tunisienne, est au cœur des difficultés de la transition politique en Tunisie. Les manifestants réclament sa disparition. Mais la formation du président déchu pourrait tenter de se transformer, pour mieux survivre à la purge.


Une semaine après la fuite de Ben Ali, le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) est au cœur de la transition politique en Tunisie... et de la polémique. Le tout-puissant parti du régime a été à nouveau conspué vendredi après-midi à Tunis. Portant des banderoles "RCD out!", des manifestants ont demandé sa dissolution, ainsi que la démission du gouvernement d’union nationale. "Il y a une contradiction flagrante entre l’annonce de la séparation de l’Etat et du parti, et le maintien au gouvernement des anciens du régime. Ils ont travaillé toute leur vie pour le RCD et maintenant ils prendraient congé, comme ça? Huit ministres disent qu’ils ont quitté le RCD, mais c’est se payer la gueule du peuple!" accuse Abdeljelil Bedoui. Nommé lundi au gouvernement, ce représentant de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a démissionné le lendemain, entraînant avec lui deux de ses collègues et Moustapha Ben Jaafar, secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et la liberté (FDTL). Pour l’UGTT et le FDTL, pas question de servir de faire-valoir à ce gouvernement. L’UGGT exige même un "cabinet de salut national" avec un président, un Premier ministre et des ministres "indépendants".


L’histoire tunisienne s’écrit au jour le jour, au gré des rapports de force. Aujourd’hui, la transition reste fragile. Deux fronts politiques s’opposent. D’un côté, celui du refus, avec l’UGTT, le FDTL, des exilés de retour au pays comme Moncef Marzouki, et les milliers de manifestants qui rejettent tout accord avec les caciques de l’ancien régime. De l’autre, celui du compromis, avec le Parti démocrate progressiste (PDP) et l’Ettajdid, entrés au gouvernement. Ils défendent, disent-ils, une "transition démocratique maîtrisée", avançant que les ministres en poste ont les "mains propres" et que la corruption n’a touché que les clans et la famille Ben Ali.


Ce débat difficile renvoie à la véritable nature du RCD: la formation présidentielle est bien plus qu'un simple parti. C’est une organisation d’Etat, une administration dans l’administration qui contrôlait la population autant qu’elle redistribuait les aides sociales et économiques. Le pays entier était quadrillé de cellules du parti. Dans les entreprises, dans les gouvernorats, les comités de quartiers… Ces cellules faisaient office de relais avec le gouvernement. Pour obtenir son permis de conduire ou une licence de taxi, pour recevoir des dons pour les fêtes musulmanes, il fallait être bien "noté" par le parti ou avoir sa carte. D’ailleurs, entre 1 et 2 millions de Tunisiens, sur une population totale de 10 millions, sont membres du RCD.


"Il y a eu des abus mais nous ne sommes pas tous crapuleux"
Tourner la page du régime Ben Ali implique d’en finir avec l’omnipotent parti. Problème: cette tâche apparaît quasi impossible. "Politiquement, le RCD est mort mais ses réseaux vont persister", analyse Kamel Jendoubi. Président du Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme et cofondateur du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie, cet opposant longtemps exilé en France est revenu chez lui lundi. "Il va y avoir des dissensions au sein du RCD, prédit-il. Il peut y avoir une réorganisation sous une autre forme, ou alors des résistances." Comme celle de Rime, militante bien introduite du parti hégémonique. Cette quadragénaire qui préfère que soit tu son patronyme veut continuer à se battre pour son parti. "On a peur des amalgames RCD = Ben Ali = voleurs! Il y a eu des abus mais nous ne sommes pas tous crapuleux", s’emporte-t-elle, avant de lancer : "Tout le monde se mêle de politique sans savoir. Il est temps que ce peuple se réveille de ce délire anarchique. Trop de liberté mène à l’anarchie." La menace, agitée comme un chiffon rouge, ne fera pas stopper les manifestations.


Des militants du PDP ont commencé à critiquer la participation de leur chef au gouvernement d’union nationale. Jeudi matin, la voiture de Néjib Chebbi, figure historique du PDP, et aujourd’hui ministre du Développement régional, a été chahutée à la sortie du local de son parti au centre-ville. Ce vendredi, c’est le leader d’Ettajdid, Ahmed Brahim, nouveau ministre de l’Enseignement supérieur, qui a été poussé par des manifestants devant les bureaux du Premier ministre.


Depuis la nomination du gouvernement, les manifestants répètent qu’ils craignent de se faire confisquer leur révolution. Une crainte qui n’est pas dénuée de fondement. Dans les coulisses, il est question de tractations entre Néjib Chebbi et des anciens du RCD, pour former une nouvelle formation politique... Avec comme objectif l’élection présidentielle, prévue d’ici six mois.


http://www.lejdd.fr/International/Maghreb/Actualite/La-difficile-transition-du-RCD-le-parti-unique-tunisien-257529

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