Cela fait 23 ans qu'il est au pouvoir. Il reste en place mais n'en fera pas plus de 26, a-t-il promis, répétant à plusieurs reprises "je vous ai compris". Le président Zine El Abidine Ben Ali, qui fait face à une vague de contestation sans précédent depuis son arrivée au pouvoir, s'est de nouveau adressé jeudi soir aux Tunisiens, alors que les émeutes se sont encore largement intensifiées jeudi. Un discours -le 3e depuis le déclenchement de la révolte contre le chômage à la mi-décembre- pleins de promesses et prononcé en tunisien dialectal dans le but d'être compris par tous les Tunisiens.
Première annonce donc, tandis que la contestation sociale prenait ce jeudi une tournure désormais politique, avec par endroits des slogans anti-Ben Ali dont les manifestants exigent depuis plusieurs semaines le départ : il ne briguera pas un nouveau mandat en 2014. Le président a aussi ordonné aux forces de l'ordre de ne plus faire usage d'armes à feu (de ne plus tirer à balles réelles) contre les manifestants. Peu avant, plusieurs ONG de défense des droits de l'Homme avaient demandé la mise en place d'une commission d'enquête internationale sous l'égide de l'ONU sur la répression violente. Et une grève générale restait jeudi soir tard encore prévue pour vendredi à Tunis.
Côté annonces sociales : Ben Ali a ordonné une baisse des prix du pain, du lait et du sucre. Enfin, Ben Ali a promis la liberté de la presse et la fin des mesures de blocage de sites internet. Le philosophe Bernard-Henri Lévy a d'ailleurs lancé jeudi un appel aux hackers à pirater et bloquer les sites internet officiels tunisiens sur le fil twitter de sa revue en ligne, "La Règle du Jeu". Et selon les informations de LCI, les deux blogueurs arrêtés la semaine dernière ont été relâchés juste après cette allocution. Et le portail dissident nawaat.org était en effet accessible jeudi soir tard. De même que Dailymotion et Youtube. Dans un aveu d'un caractère exceptionnel, le président tunisien a également admis avoir été "trompé" sur l'analyse de la crise sociale et affirmé que l'enquête qu'il a ordonnée serait indépendante et établirait les "responsabilités de chacun".
Ces promesses calmeront-elles la colère ?
Spontanés ou pas, aussitôt, des klaxons ont été entendus par le correspondant de TF1 à Tunis, qui les imputait à des partisans de Ben Ali. Puis, en dépit du couvre-feu nocturne, des dizaines de manifestants ont défilé dans le centre de Tunis aux cris de "Ben Ali, Ben Ali !". Une journaliste de France Info, également sur place, décrivait aussi une certaine liesse dans les rues face à un discours qui semblait avoir fait effet, interrogeant une habitante qui disait son "espoir" d'"un vrai changement". En revanche, sur twitter, de nombreux internautes assuraient que les coups de feu continuaient et que l'on comptait encore les morts.
Autre indice d'un changement de ton : l'opposant tunisien Najib Chebbi s'est d'ailleurs félicité de la décision du président âgé de 74 ans de pas briguer un nouveau mandat, appelant à la création immédiate d'un gouvernement de coalition. "Ce discours est politiquement important et correspond aux attentes de la société civile et de l'opposition", a dit le fondateur du Parti démocratique progressiste (PDP) dans une interview accordée à Reuters après l'intervention télévisée du chef de l'Etat. "Le président a abordé le coeur de la question, les exigences de réformes. C'est très important et je salue ce fait (...) Franchement, je ne m'attendais pas à ce qu'il aborde tous ces problèmes", a-t-il ajouté.
Pillages dans la touristique Hammamet
Le discours du président de mercredi, qui avait lâché du lest, limogeant son ministre de l'Intérieur, décidant une commission d'enquête sur la corruption et les dépassements, n'avait pas eu l'effet escompté. Les affrontements se sont poursuivis mercredi et jeudi. Et ont, selon des journalistes sur place, gagné la très touristique Hammamet jeudi après-midi. Cette station balnéaire, prisée par les touristes européens située à 60 km au sud de Tunis, était alors le théâtre de pillages et destructions, tandis que des passant avaient érigé de nombreux barrages après une marche pacifique suite aux funérailles d'un réceptionniste d'hôtel tué mercredi par les tirs de la police.
Dans le centre de Tunis, où le mouvement a gagné mardi, des coups de feu ont été tirés jeudi après-midi. Une manifestation a dégénéré en affrontements avec la police sous le regard de l'armée à nouveau déployée, selon un journaliste de Reuters. Malgré le couvre-feu décrété (le 1er depuis le début des violences), les heurts entre jeunes et policiers dans plusieurs quartiers de Tunis ont fait un premier mort dans la nuit de mercredi à jeudi.
Des slogans plus politiques
Ailleurs, les troubles se poursuivaient également jeudi dans la journée. Dans la ville de Sidi Bouzid, où l'agitation sociale a débuté il y a près d'un mois, d'abord centrée sur le chômage des jeunes, après le suicide par le feu d'un jeune diplômé sans emploi, des témoins ont affirmé que plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues. Des appels à "toutes les libertés" et des slogans antigouvernementaux, dénonçant des faits de corruption et une répression policière, ont fait leur apparition dans les manifestations, s'ajoutant aux revendications économiques.
Les autorités affirment que les manifestations sont noyautées par une minorité d'extrémistes qui veulent déstabiliser la Tunisie, où tous les évènements sportifs prévus de week-end en Tunisie ont été annulés. Dans les cafés et sur internet, la parole semble se libérer contre le président Ben Ali. Une vidéo d'un groupe de manifestants brûlant un portrait de Ben Ali, dont le visage orne tous les bâtiments publics et des affiches publicitaires dans la rue, circule sur les réseaux sociaux.
23 morts officiels, le triple selon la Fidh
Le dernier bilan officiel de civils tués est de 23 morts. Des témoins ont fait état mercredi de 5 morts supplémentaires et des mouvements de défense des droits de l'homme évoquent près de 40 morts, selon les Nations unies. La présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Souhayr Belhassen, a même affirmé à Paris détenir une liste nominative de 66 personnes tuées depuis le début des troubles mi-décembre, dont 8 dans la nuit de mercredi à jeudi dans la banlieue de Tunis. Amnesty International fait en outre état d'arrestations de masse et de descentes nocturnes.
L'économie tunisienne, l'une des plus ouvertes aux investisseurs étrangers dans le Maghreb, commence à souffrir de cette instabilité inhabituelle. L'indice vedette de la bourse de Tunis, en baisse pour la quatrième journée d'affilée, a perdu 4% jeudi et atteint un plus bas de 12 mois. En outre, la situation en Tunisie, une des destinations préférées des Français, est suivie avec attention par les voyagistes qui, avant même l'annonce de pillages à Hammamet, commençaient à enregistrer de premières annulations de clients inquiets.
Côté diplomatique, le gouvernement français a haussé le ton jeudi pour la première fois (lire notre article > Tunisie : Fillon hausse le ton). La Suisse, les Pays-Bas et le Portugal ont pour leur part déconseillé jeudi les voyages non essentiels en Tunisie, de même que les Etats-Unis.
http://lci.tf1.fr/monde/afrique/2011-01/troubles-en-tunisie-les-promesses-politiques-et-sociales-de-6223693.html
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